Perdu ... et seul ?

*.....et mat*
Yûta s'arrêta de courir alors que l'étrange forme sphérique disparaissait. Il sentit le seigneur reculer vivement afin de se mettre à une distance qu'il trouvait amplement exagérée mais cette mesure de sécurité n'était pas vaine... S'il y avait eu un public, celui-ci ne se serait aperçu de rien et n'aurait nullement compris pourquoi le Nushi reculait avant que celui-ci ne donna l'explication de la situation. Or, les deux combattants savaient parfaitement ce qui s'était passé... même si pour le serviteur tout n'était pas encore tout à fait mis au clair.

Tandis que Yûta se tenait immobile, une vive douleur lui avait déchiré le membre inférieur. Une douleur qu'il encaissa sans une grimace, sans un cris, serrant seulement les dents puis esquissant un sourire une fois le choc passé : conscient à cet instant là qu'il s'était fait avoir mais encore inconscient de sa défaite. Oui, à ce moment là l'Utsuwa avait réalisé l'utilité de tout ce tintamarre mais certaines explications lui manquaient encore : il ne comprenait pas comment cela avait été possible et pourquoi faire une telle chose.
Yûta suite à cette attaque avait pris une profonde inspiration, cherchant à calmer la douleur qui le lançait au niveau de sa cheville. Sa main s'était refermée sur son arme et il s'était remis à courir passant outre le fait qu'il s'était fait mordre. Ce n'était qu'un serpent, rien de particulièrement grave. Ce n'était pas une blessure produite par deux crocs qui allaient l'arrêter. Il voulait toucher ce dôme, il voulait en connaître la nature, l'utilité, mais il n'avait eu le temps que de parcourir la moitié de la distance qui restait avant que ce dôme en question ne disparaisse et qu'il ne réalise sa situation. A ce moment là sa pensée s'était concentrée sur une chose : sa défaite.

*Échec et mat.*
Maintenant que le poison circulait dans ses veines et qu'il commençait à en ressentir les effets, Yûta comprenait qu'il avait eu à faire à plus fin que lui. Il savait à présent ce qui risquait de se passer. Il était prêt. Il en riait intérieurement. Cette morsure avait un pourquoi avec une réponse très simple : l'animal était venimeux. Son adversaire le lui confirma par ses paroles... Le seigneur avait repris toute son assurance. Il savait que son opposant était dans une impasse et le pire dans tout cela était que ce dernier avait facilité la circulation du venin. Yûta se moqua de sa propre bêtise.

*Navrant que je n'ai pas ressenti le poison avant...*
Seiichi le lui avait pourtant dit. Oui, il le lui avait dit que son corps était une bénédiction car il endurait très bien la souffrance et avait une facilité d'adaptation déconcertante ce qui pour les Kyôgi était idéal, seulement il l'avait aussi averti d'une chose : ce n'est pas parce que le mal ne se fait pas sentir qu'il est inexistant...
*Je devrais apprendre à écouter l'appel de mon corps.*
Il l'avait souvent pensé, jamais fait.

Yûta, debout et immobile, gardait un visage serein. Son imperceptible sourire reposait toujours sur ses lèvres. Que ce soit dans la victoire ou que ce fusse dans la défaite, il n'exprimait aucun sentiment, il gardait ce masque de sérénité. La tête basse, le dos légèrement courbé, Yûyake à l'arrière, il calculait la distance qui le séparait de l'homme et il estimait le temps qu'il pouvait mettre pour l'immobiliser. En trois minutes, il pouvait éventuellement y parvenir.
*Mais à quoi suis-je entrain de penser !*
Le jeune homme s'étonnait lui même.

* J'ai... mal ?*
Yûta tomba à genou. Yûyake heurta le sol, juste à côté de lui. Il lâcha son arme. Il prit une grande inspiration puis tendant le bras gauche devant lui, il chassa les feuilles mortes, dégageant un carré de terre sur lequel il effectua un tracé du bout des doigts. Une fois qu'il eut fini, il observa attentivement son oeuvre puis inclina légèrement la tête, prenant la parole d'un ton détaché.

"Je reconnais ma défaite. Selon les clauses voici la direction la plus courte et la plus sure. Vous arrivez sur la réserve."

Un état critique n'empêchait pas le jeune homme de se souvenir du marché qu'il avait passé avec cet homme. Bien qu'il ne lui avait jamais donné sa parole et qu'il lui en voulait encore d'avoir -ne serait ce qu'involontaire- insulté son maître, Yûta se souvenait du pourquoi de cette rencontre et il tenait à y venir à bout. Ce plan en était là preuve, même si rien ne témoignait de son authenticité. Le seigneur allait être obligé de croire le serviteur.

*Un dernier effort...*
Yûta ramena ses deux mains devant lui puis son front heurta le sol.

"Je suis à votre merci."

Le visage de Tokaru se fixa dans une expression de stupeur complète .

*Il ne va quand même pas attaquer ?*

Cet Utsuwa refuserai la défaite à ce point. Il tenait à attaquer se condamnant ainsi .
Non, il ralentit ... un certain soulagement prit Tokaru, cet Utsuwa ne manquait pas de cran. Et lui, il s'était joué d'un adversaire pareils ... il avait écrasé Yûta sans même croiser le fer avec lui .

L'Utsuwa tomba à genou ... le poison avait déjà fait le tour de l'organisme, il aurait du s'arrêter immédiatement. Le Nushi comptait les secondes s'écouler, pas question d'intervenir avant que l'Utsuwa ne reconnaisse sa défaite.

Yûta traça une sorte de plan sur le sol, remplissant son engagement. Et pour finir à la grande surprise de Tokaru, il s'inclina devant lui .

"Je suis à votre merci." Tokaru profita du moment tout simplement jouissif ... il n'éprouvait plus de colère, au contraire il avait pitié de l'Utsuwa qui s'humiliait ainsi .

Soudain il s'arracha à la contemplation de la scène et scruta les alentours, la foret regorgeait de plantes qu'il connaissait toutes! Il se précipita vers un buisson aux feuilles vertes et rouges, il en palpa la texture, en arracha une et la goutta. Aussitôt il en arracha une poignée et se remit à scruter les environs. Il recommença ainsi plusieurs fois en s'éloignant au point de ne plus être entendu par Yûta. Une longue minute s'écoula avant que Tokaru ne revienne les bras chargés de Feuilles, écorces et champignons.

"Allonge toi sur le ventre et tend ta jambe ."

*Il savoure*

Le perdant sentait le regard de son vainqueur sur lui. Les secondes s'écoulaient et le seigneur restait là, le regard posé sur cette misérable créature qui mordait la poussière devant lui, le poison s'infiltrant dans ses veines, le tuant petit à petit tandis qu'ils ne faisaient rien. Seulement Yûta comprenait, il n'était pas énervé, agacé, révolté par cet instant d'immobilité et il ne s'inquiétait pas de la mort ; non, Yûta comprenait que son opposant veuille savourer cet instant de gloire et s'il attendait de le voir s'éteindre devant lui, il en serait ainsi. Même si l'Utsuwa trouvait cela particulièrement embêtant car il n'avait pas le droit de mourir. Cependant il était conscient de l'avoir bien cherché et au vu de sa situation, il était amusé, même si tout au fond de lui, il se sentait profondément blessé, humilié car en plus d'avoir échoué à porter une attaque, il ne pouvait soigner sa plaie lui-même. Il ressentait la douleur d'une défaite à toute échelle.
*Je n'ai que ce que je mérite.*

Le Nushi partit en courant. Yûta n'en revint pas. L'homme le laissait-il pour mort d'une telle manière, sans un mot qu'il fut cruel ou emprunt de pitié ? Si tel était le cas, l'Utsuwa pouvait donc se traîner et aller se soigner lui-même. Il essaya de se lever et il comprit immédiatement qu'il avait été un peu trop optimiste. S'aider lui-même était trop tard. Il ne pouvait qu'espérer que Tokaru ne l'ai pas réellement abandonné. Ses sens perturbés, il ne parvenait ni à capter sa présence ni à l'entendre jusqu'à ce que des pas résonnent à côté de lui et qu'il reçoive un ordre...

Inconsciemment ses muscles se tendirent et sa respiration se coupa. Un frisson parcourut le long de son échine. 'Allonge toi sur le ventre' cette phrase.... à chaque fois qu'il l'avait entendu, il s'était retrouvé à hurler sous les coups de fouets de son maître. Des coups qui ne s'étaient jamais adoucis avec le temps, toujours plus nombreux, toujours plus forts, et ce malgré la relation privilégiée qu'il avait eu avec Seiichi. Quand il s'agissait d'obéir ou non, d'ordonner, de punir ou de torturer, jamais les sentiments ne s'étaient mêlés sauf peut-être parfois en privé.
Yûta détestait cette phrase. Il mettait toujours un certain temps avant de l'accepter mais il l'acceptait toujours, ou presque, parce qu'il était un Utsuwa, parce qu'il se devait d'obéir et qu'il obéissait toujours.
* Ou presque.*

Le jeune homme se détendit. Il expira silencieusement puis il s'exécuta pensant :
"Selon vos désirs, maître."
Par réflexe Yûta avait prononcé cette phrase à haute voix et il manqua de se défaire et de son manteau et de son haut lorsqu'il réalisa que ce n'était pas ce qui lui était demandé. Ainsi il remit correctement son manteau puis il se coucha à plat ventre et tendit la jambe. Il lui fallut un instant de plus avant de réaliser qu'il avait appelé Tokaru maître.
*C'est gênant.*
Yûta mit cette erreur sur le compte du poison et il ne put s'empêcher de demander :

"Pourquoi ?"
Oui, pourquoi cet héritier le soignait- il ? Il n'avait rien à y gagner.

"Vraiment, ce n'est que cela..." commenta faiblement Yûta. Il n'y croyait nullement mais il ne voulait pas embarrasser le seigneur. Si celui-ci avait une raison personnelle ou tout simplement parce qu'il ne savait pas pourquoi il l'aidait, l'Utsuwa comprit qu'il ne fallait pas poser plus de question. Cela l'occupe, c'était amplement suffisant.
*Lui aussi, cela l'occupait de me soigner...*
Le jeune homme se souvenait des heures de soins qu'il avait du subir. Les premières lui avaient été administrées par des mains douces, délicates et intentionnées. Des belles mains de femmes très soucieuses de ne pas le faire souffrir. Quand aux secondes, elles avaient été des mises à l'épreuve pour le serviteur et des divertissements pour le seigneur.

Seiichi avait toujours aimé observer le visage de son petit Héron se déformer sous la douleur. Il pensait que c'était l'un des seuls moments où le sentiment exprimé sur son visage était sincère même s'il lui arrivait souvent d'en douter. De plus, il adorait le chant mélodieux de son oiseau chéri. Il aimait l'entendre encore et encore, des heures durant. Ainsi afin que le silence ne revint pas trop vite, le seigneur, après le châtiment ou la torture, appréciait grandement appliquer de l'alcool sur les plaies fraîches de son jouet.
*Juste pour entendre mes gémissements.*
Yûta prit une grande inspiration. Les souvenirs de ces longues heures le rendaient nostalgique. Il n'avait pas particulièrement envie de subir tout cela à nouveau mais il savait que cela était inéluctable. Il était un Utsuwa et même si entant que tel, il souffrait moins de coups et blessures, il n'en était pas dispensé.

Le jeune homme ouvrit la bouche, et accueillit les feuilles qu'il se devait de mâcher. Il s'attela à la tâche, songeant vaguement à ce qu'il pouvait bien dire. Il avait envie de poser des questions, éclaircir de nombreux points, obtenir un pardon, mais il ne trouvait pas la force de formuler ses questions, ni de prononcer le moindre mot, en plus d'avoir la bouche pleine. Il laissa sa tête heurtée le sol, sentant le monde des songes l'envahir. Il se laissa flotter un instant entre la conscience et l'inconscience avant de se reprendre.

"Comment..."
Il marqua une pause, casa la bouillie dans l'intérieure d'une joue et reprit.
"Comment avez vous fait ?"
Il lui fallait au moins cette réponse.

Yûta recracha les feuilles dans sa main et les lança un peu plus loin. Le goût n'était pas des meilleurs mais il ferait avec. En revanche un bol d'eau n'aurait nullement été de refus seulement il n'avait pas encore la force de se traîner jusqu'au point d'eau le plus proche, et celui ci était tout de même à dix minutes d'ici. Il ne boirait que dans quelques heures, ce qui pour lui n'était pas très grave puisqu'il avait été entraîné à affronter aussi bien la faim que la soif.

Le jeune homme sentit le bandage être fait autour de sa cheville, celui-ci était humide, Tokaru avait du y appliqué quelque chose, des quelconques plantes qui avaient une utilité quelconque. A ce stade là, il n'était plus très attentif aux gestes de cette personne. Il le regretterait certainement plus tard mais c'était plus tard. Actuellement il n'en était pas conscient.

L'héritier eut l'amabilité de répondre à la question qui lui était posée. La réponse ne fut pas celle attendue. Cependant elle ne fut nullement dénuée d'intérêt. Yûta l'écouta avec l'oreille la plus attentive qu'il pouvait fournir dans son état, aucun mot ne lui échappa. Il allait commenter ces paroles malheureusement le Nushi renchérit dessus.
Tokaru expliqua à son perdant l'état dans lequel il était. Un jour avant de récupérer sa mobilité, trois avant de pouvoir reprendre des activités. Ces statistiques n'étaient pas tout à fait exactes, il lui faudrait un peu moins de temps et surtout, il passerait outre du conseil. Il n'allait pas éviter les mouvements brusques. S'il se devait de combattre, il le ferait.
*Sur une jambe*
Il s'en sortirait. De toute manière, un serviteur n'avait pas le droit à des jours de repos, et il ne comptait pas en prendre.

"Méfiez vous de la forêt..." souffla-t-il vis à vis des dires sur les plantes.
La forêt, le Nushi en connaissait la partie Nord, de quelle manière la délimitait-il ? Au Nord, il y avait la plage, elle avait une fin, mais quand estimait-il passer à la partie Est ou celle de l'Ouest ? De plus connaître toute la partie Nord ?
*Je serais mal placée pour juger...*
En trois ans, la forêt, il en avait fait le tour. C'est pourquoi il avertissait Tokaru, parce qu'il savait que ce droit chemin n'avait de droit et de chemin que le nom. A chaque fois qu'il pensait la connaître, il en découvrait un nouveau morceau et à chaque fois qu'il repassait sur un lieu, un détail se révélait à lui. Les apparences étaient des plus trompeuses et il n'en allait pas seulement pour la forêt. Yûta savait qu'il avait à faire à un Nushi, autant dire que cet homme avait peut-être un siècle derrière lui sans que cela ne se vit sur son visage. L'expérience, les connaissances... selon son âge, il avait pu en accumuler énormément.

"En réalité, je voulais savoir comment vous aviez fait pour ce serpent."
Yûta se redressa doucement, rester allongé était déplaisant surtout que cette position lui était désagréable. Ainsi, il se mit en tailleur au pied de l'arbre le plus proche. Sa tête buta le tronc et il chercha le sol du bout des doigts afin d'y retrouver Yûyake. Ce dernier vint se glisser dans sa main que le jeune homme ramena contre lui. L'arme reposa contre son épaule, un bras enroulé autours d'elle. l'Utsuwa laissa sa tête se pencher et reposer contre le bâton. La position lui était agréable ainsi, les jambes légèrement repliées contre son torse, le dos contre le tronc, il était bien. Seulement il ne put voir que ses mouvements avaient effacé le plan au sol...
Le néant recommençait à envahir son esprit et il sombra un très bref instant, à peine dix secondes avant de revenir à lui.

Yûta réalisa alors l'emplacement de l'homme. Il se demandait pourquoi ce dernier était toujours là, maintenant qu'il s'était occupé de sa plaie, il n'avait plus de raison de rester à proximité.
"Comptez vous me veiller ?" demanda-t-il en un souffle.

*Je vois...*

Clairement, le seigneur ne voulait pas lui dire. Yûta trouvait cela dommage, connaître la technique de cet homme aurait été pouvoir la déjouer mais s'il ne la connaissait pas... Il ferait sans. La prochaine fois, il serait encore plus attentif, il ne voulait pas laisser filer entre ses doigts une occasion en or de découvrir la force d'un Nushi, d'autant plus si ce Nushi s'avérait être l'ennemi de son futur maître. Son rôle étant de vaincre et de protéger, il se devait d'être informé. Malheureusement ce ne serait pas cette fois-ci.
L'homme voulait garder le mystère, la curiosité n'en était que plus grande.

Cependant Yûta du laisser couler. Il écouta ce qui était à venir. Tokaru avait bel et bien l'intention de le veiller. Était-ce une bonne chose ? Il ne saurait le dire. Néanmoins si le veiller lui permettait d'augmenter ses chances de survie actuellement faibles, ce que l'héritier prononça par la suite avait plutôt tendance à lui faire espérer de mourir dans la seconde.
*Une faveur à vie ?*
Bien évidemment, il avait été sauvé et d'une certaine manière il en était reconnaissant mais... quand même. L'Utsuwa pouvait-il se permettre d'accepter une telle chose ? D'autant plus qu'il avait été sauvé mais qu'il ne l'avait jamais réellement demandé, s'il lui eut fallu mourir, il l'aurait accepté... cependant il n'avait pas le droit de mourir.
*Alors peut-être aurais-je supplié...*
C'est ce qu'il aurait voulu.

Yûta soupira silencieusement. Le soucis était qu'il avait voulu accorder à cet homme cette redevance. Il était sincèrement reconnaissant de ne pas avoir été laissé pour mort car il savait que dans l'état où il avait été il n'aurait guère put se soigner lui-même, le poison avait été trop avancé mais aussi parce que mourir l'aurait... l'idée de mourir ne lui faisait pas peur mais il ne pouvait pas mourir, point. C'est pourquoi il était reconnaissant mais de là à le dire et à le reconnaître de vive voix... c'était plus délicat. Il allait bientôt avoir un seigneur à servir, avoir une dette risquait d'être gênant...

" Bien, je reconnais cette dette."
*Il me le fera regretter.*
Yûta en avait le pressentiment. Seulement il ne pouvait plus reprendre ses mots. Il était incapable d'ignorer toute parole qu'il avait prononcé c'est pourquoi il évitait en général d'en proférer parce que chaque parole, chaque promesse lui était douloureux. Et si le Nushi ne le voyait pas à cet instant, Yûta derrière son visage serein, endurait cette souffrance. La morsure était une farce et l'humiliation n'était qu'un présent à côté de cette phrase qui lui avait nécessité bien du courage....

Le silence revint un instant. Les deux protagonistes s'étaient tus.
Une pensée tournait et se retournait dans la petite caboche de Yûta : ce seigneur ne voudrait-il pas de lui ? Il l'avait fait sien par cette dette mais ne voudrait-il pas d'un Utsuwa ?
*Il en a peut-être déjà un.*

Le silence permettait à Yûta de sombrer tranquillement vers le néant. Il sentait ses pensées se dissiper peu à peu, elles se mélangeaient au monde des songes. Le plongeons était tellement agréable, sentir qu'il pouvait enfin se reposer après une longue journée pleine d'émotions était ce qui relevait de la liberté. Dormir était le seul instant où une personne de son rang pouvait espérer être libre. Le seul instant où son cerveau pouvait imaginer toute chose sans que personne ne put en prendre le contrôle. Dormir... il détestait cela. Il n'y avait pour lui rien de pire que de dormir. S'il appréciait la sensation de plonger dans les tréfonds des océans, il haïssait l'action de dormir parce qu'il ne connaissait nul repos.

*Tortueux songes, repos douloureux.*

Au loin, le faon perdu rayait sur le voluptueux silence de la nuit. Dix minutes. Il avait sombré dix minutes et déjà les fantômes de ses souvenirs venaient le tirailler. Une voix se fit entendre sans qu'il ne put en distinguer les mots, sa concentration était au minimale, son ouïe ne se prêtait plus au moindres murmures de la forêt et encore moins de cet Akuyô. Ce dernier s'était levé, et il approchait. Yûta se demandait ce qu'il pouvait bien lui vouloir. Il le sentit lui tourner autours puis le froissement des feuilles. Il lui sembla que le seigneur était entrain de dégager le sol mais il n'en était pas certain. Sa tête était un peu trop engourdie.
Finalement, l'homme lui donna la permission de dormir après lui avoir informé qu'il allait le faire. Ainsi, il avait le droit de dormir, sa seigneurie était décidément trop bonne.... Yûta s'en voulut d'une telle pensée. Tokaru était un homme bon.

*Parmi les Nushi.*

Oui, il ne pouvait décemment dire que cet Akuyô était la bonté et la gentillesse incarnées mais il lui reconnaissait un fond agréable. S'il lui était permis d'avoir des remords ou des regrets, il s'en voudrait peut-être un peu de s'être joué avec un tel héritier et pourtant l'avoir fait ainsi lui avait permis de le connaître et surtout...
* De découvrir ses talents.*
Ainsi Yûta ne regrettait rien. Bien au contraire, il s'était amusé, il s'était informé, il avait souffert : une soirée complète.

Yûta hocha légèrement de la tête afin d'affirmer à son compagnon de fortune qu'il avait bel et bien entendu ses paroles. Il se retrouva ensuite enfermé dans une drôle de chose. L'Utsuwa en reconnu le dôme et se mit sur ses gardes, du moins il essaya, il n'en avait plus la force. Que ce fut son ouïe, son odorat ou son touché, tout l'avait pour le moment déserté. Le jeune homme se sentait aussi vulnérable qu'un enfant de dix, non cinq, ans. Cela lui était désagréable mais au moins il avait la chance d'être en bonne compagnie.
Il s'endormit.

Dans un sursaut, Yûta s'éveilla. Sa main serra immédiatement Yûyake et mit ses sens à l'écoute. Qu'était-ce ? La nature avait une drôle de parure.
*Une présence ?*
Celle-ci était proche, il en approcha l'oreille avec précaution. Une fois qu'il fut suffisamment près, il put entendre sa respiration. Le souffle était lent et régulier, la créature dormait. Et la drôle de parure était sphérique. Les souvenirs lui revinrent. Yûta se permit une légère grimace. La mémoire de sa parole donnée lui laissait un goût amer sur la langue. Était-ce la bile qu'il avait envie de vomir ? Il ne sut.

Nul bruit, nulle autre présence. Yûta expira tranquillement. La peur quittait petit à petit son corps tandis que le fantôme passé disparaissait pour laisser place au présent. Il était à présent pleinement éveillé. Quelle heure était-il ? Il ne pouvait le savoir mais il était six heures.

Le jeune homme caressa le bandage autours de sa cheville meurtrie puis posa le bout de son bâton au sol. Il prit appuie dessus et se leva. Il testa un peu sa jambe et étouffa un gémissement.
* D'accord, je vais y aller doucement.*
Yûta marcha lentement, usant au minimum de son membre blessé. Sa seconde jambe ? Yûyake.
Il s'approcha du bord de l'étrange sphère. Sa main caressa la surface, il y avait de drôles de vibrations. Il traversa la paroi. Il avait l'impression de changer de monde. Là, il reconnaissait l'air, le vent, son domaine : la forêt.

Le jeune homme prit une profonde inspiration et sentant l'humidité dans l'air, il estima qu'il devait être tôt le matin. De plus le chant des oiseaux commençait tout juste. Le soleil se levait donc.
Yûta décida que l'héritier dormirait sûrement encore un peu et ce dernier, protégé par son dôme, ne risquait rien. Il s'en alla faire un tour....


Une heure passa, et Yûta revint chargé de fruits, de feuilles, d'un peu d'eau -conservée dans la coque d'un fruit- et éventuellement d'un petit rongeur qui avait eu le malheur de passer par là. Il déposa le tout sur le sol préalablement dégagé à quelques mètres de la protection sphérique de laquelle il préférait se tenir loin puis il se laissa tomber délicatement au sol, déçu et agacé.
Entant que serviteur il lui était normal d'apporter le déjeuner -même s'il était blessé-, cela lui venait des exigences de Seiichi qui avaient proclamé que son Utsuwa lui servirait également de Ningyô pour le service de chambre. Alors les habitudes étaient apparemment restées. Cependant apporter le déjeuner à Tokaru n'était pas la cause de ses noirs sentiments. Ce qui en était l'origine était le fait qu'il ne pouvait pas faire son entraînement matinal. Son pied ne le lui permettait pas.
Ainsi, Yûta était obligé de rester assis jusqu'au réveil de l'héritier.

Il se recula un peu, et il s'adossa contre le tronc voisin. Il aborda la même position dans laquelle il s'était endormi quelques heures plus tôt. Que pouvait-il faire en attendant ? Rien de plus, il n'avait pas d'ordres à suivre et surtout ce seigneur n'était pas le sien, il n'avait donc rien de plus à faire pour son confort alors il allait méditer ou ressasser des souvenirs pour tuer le temps.
*Je ne peux décemment partir ainsi.*

*Déjà réveillé ?*
Le serviteur venait à peine de s'installer qu'il entendit la voix enjouée de sa noble compagnie. Il releva légèrement la tête, la laissant en réalité heurter délicatement le tronc sur lequel il était adossé puis réalisant qu'il était entrain de faire patienter le maître pour une réponse et que ce dernier venait de se réveiller, il se leva lentement comme à son accoutumance mais aussi parce qu'il ménageait sa cheville. Une fois sur ses deux jambes il fit quelques pas, Yûyake lui servant de bâton, puis il s'inclina bassement face au Nushi, le saluant en même temps. Son attitude était soumise et empreinte de respect, elle n'avait plus rien à voir avec celle de la veille.
Ce n'est qu'une fois redressé que Yûta répondit d'une voix dénuée de toute ironie et d'une tonalité sincère :

"Bien, grâce à vous, je vous remercie"
Évidemment il mentait. Même si le seigneur Tokaru ne pouvait le savoir, Yûta était incapable de bien dormir. Trop de fantômes passés pour qu'il puisse le faire. Néanmoins, répondre qu'il avait mal dormi ne lui aurait servi strictement à rien pour plusieurs raisons. La première : le seigneur étant un seigneur devait certainement se moquer de la réponse que pouvait bien lui fournir l'Utsuwa, il ne lui avait certainement posé cette question que pour la forme. Néanmoins si tel n'était pas le cas, cela donnait lieu à une seconde raison : si Yûta avait répondu par la négative, il aurait certainement du s'expliquer, et il n'avait aucune envie de le faire. C'est ainsi que par mesure de sécurité, une réponse par l'affirmative l'écartait de tout soucis.
*Et j'en profite pour flatter le Nushi.*
Deux en un.

"J'espère ne pas vous avoir réveillé. Si tel est le cas, veuillez m'en excuser."

Juste après ces quelques mots, il désigna d'un geste circulaire le sol à quelques pas de lui. Là, reposaient tous les aliments qu'il était allé chercher afin de faire un petit déjeuner correct pour le seigneur.

"Je ne connais ni vos goûts ni vos habitudes ainsi j'ose espérer que ces quelques denrées sauront répondre à vos attentes."

Une fois ceci dit, il s'éloigna d'un pas, s'inclina à nouveau puis il se retourna et alla se poser au pied de l'arbre seulement cette fois-ci il ne s'assit guère de manière négligée. Ses deux jambes croisées, Yûta se tenait assis en tailleur, la cheville meurtrie mise d'une telle façon à ce qu'il ne risque pas de la heurter en se levant ni en reposant son poids dessus. Il déposa Yûyake à sa gauche, puis ses deux mains vinrent reposer sur ses genoux tandis que son dos se redressait. Seule sa tête restait baissée.

*Pourquoi suis-je si discipliné en présence d'un seigneur?*
Certes, il avait joué avec ce dernier la veille mais une fois n'étant pas coutume, l'Utsuwa avait en général le comportement qu'il abordait maintenant plutôt que celui qu'il avait joué hier. Jusqu'alors il ne s'était jamais posé cette question puisqu'il obéissait à son maître auquel il avait été lié de maintes façons mais à présent, il était étonné d'être aussi...
* Les habitudes...* Finit-il par conclure.

Un sourire illumina le visage de Tokaru, quelle docilité … un grand changement par rapport à l’arrogance et au mépris d’hier.
Et une non dissimulée satisfaction pour l'Akuyo.

* Il a compris qui était le maitre …* songea t-il

Tokaru s’avança en scrutant les fruits au sol. Une idée lui vient, tout en dégainant, il avança vers l’Utsuwa en scrutant sa réaction.Il prit quelques fruits grâce à la pointe de son sabre.
Il ramena ensuite le sabre à lui et prit le premier fruit sur la pointe, il tendit ensuite le sabre sur lequel restait deux fruits, vers Yûta.

Celui ci marqua un temps d’hésitation mais prit un des fruits .
Aussitôt Tokaru fit demi tour pour allez s’assoir à distance. Au passage il jeta un coup d’oeil à l’endroit où Yûta avait tracé le plan la veille, effacé … Tokaru se mordit les lèvres mais continua sa route pour allez se poser face à l’Utsuwa à quelques mètres .

« Alors … par où on se casse ? J"ai remarqué que le plan que tu avais tracé était effacé … »

Le son métallique d'une arme ôtée de son fourreau chanta à l'oreille de l'Utsuwa. Ce dernier fut particulièrement intrigué. Il ne pouvait pas voir le visage du seigneur et par conséquent il ne pouvait donc pas savoir ce que ce dernier pouvait bien avoir en tête. C'est pourquoi, l'entendant approcher, Yûta se posa maintes questions sur le pourquoi de ce geste. Il n'était pas inquiet et il ne chercha pas à récupérer son arme afin de parer ou d'attaquer cet homme qui s'avançait vers lui parce qu'importe ce qui devait arriver, il n'avait pas le droit de le faire.
*J'ai une dette.*
L'idée le dégoûtait.

L'Utsuwa devait sa vie à cet homme, et si ce dernier pour une raison inexpliquée avait soudainement décidé de la lui ôter en cet instant précis, il avait le droit de le faire. Même si à cet instant justement cette idée paraissait totalement absurde. Pourquoi le veiller toute la nuit pour le tuer au matin ? N'est-ce pas que présenté ainsi, cela était ridicule ? C'est pourquoi Yûta n'était nullement inquiété, il savait qu'il ne risquait rien, et dans les pires des cas, quelques coups de sabre ne pouvaient que lui faire du bien.
*Je n'ai pas été châtié depuis si longtemps...*

Le léger son juteux d'un fruit transpercé se fit entendre : trois, était le nombre de fois où le geste avait été répété. L'homme n'avait donc dégainé que pour se servir de son arme comme couvert ? C'était certainement le cas et Yûta sourit intérieurement. Il entendit alors Tokaru s'approcher encore et par la légère vibration de l'air, il sentit que l'arme était pointée en sa direction. Il releva la tête.

*Que dois-je faire ?*
Il ne doutait pas que sur l'arme gisait les fruits mais il ne comprenait pas pourquoi le bon seigneur les lui présentait. Il leva lentement la main, d'un geste encore un peu hésitant puis finalement balayant légèrement l'espace devant lui afin de rencontrer l'objet, il laissa ses doigts se refermer sur la denrée. Il l'ôta de la lame et la garda en main. Il était encore perturbé mais ne montra rien. Ce n'était pas grave s'il ne comprenait pas pourquoi, il n'avait pas à comprendre juste à...
"Merci."
...Remercier.

Il reposa sa main sur son genou, le fruit dans sa paume. En réalité, il ne savait pas ce qu'il devait en faire. Certainement si le noble Tokaru le lui avait présenté, c'était dans le but qu'il le mangea mais la faim de Yûta était déjà palliée. En effet, durant son excursion il s'était nourrit, sachant pertinemment qu'un serviteur ne mangeait pas avec un seigneur mais si ce dernier lui offrait le repas... refuser serait rude.

*A moins qu'il désire que je sois le goûteur ?
C'était également possible. L'héritier pouvait se méfier de lui au point de croire que ces quelques vivres furent empoisonnés. Après tout, Yûta était un Utsuwa qui connaissait la forêt mais aussi un Jinmin qui pouvait en vouloir à ce maître de l'avoir humilié et qui en profitait pour le tuer en traître. Rien ne prouvait le contraire, de plus cette soudaine docilité pouvait paraître louche... comme s'il essayait de cacher quelque chose.
*Comme une tentative de meurtre*
Mais, Yûta n'était pas aussi lâche pour agir ainsi et puis son respect n'était que sincère. De plus l'homme ne semblait pas méfiant, du genre à être constamment sur ses gardes...
*Alors peut-être n'est-ce qu'une bonté...*

Bien que n'aillant pas faim, il croqua dans le fruit puis, tandis qu'il mâchait, il tendit le bras dans une direction. Cette action répondait à la question du seigneur : c'était dans cette direction qu'il fallait marcher. Une fois qu'il eut avalé ce qu'il avait dans le bec, le héron ajouta :

"Si vous le désirez, je vous servirai de guide."
Voilà, il y était enfin parvenu.... Il avait enfin prononcé les paroles qu'il aurait du dire depuis le début, celles qui consistaient à offrir son aide.

Le repas fut des plus rapides, le jeune homme s'était apparemment contenté de quelques fruits puis il avait exigé à ce que le serviteur passe devant afin d'ouvrir la route. Ce dernier terminant ce qu'il avait en main, acquiesça. Bien qu'il avait la veille commis quelques erreurs, il était satisfait de lui-même, estimant qu'il était entrain d'accomplir la mission qu'il s'était donné, c'est-à-dire sauver ce seigneur de son errance. Voilà que ceci touchait à sa fin, ce n'était plus qu'une question de minutes.

Un instant plus tard Yûta se leva délicatement. Sa jambe meurtrie se posa au sol mais il fit attention à ne pas trop prendre d'appuie sur celle-ci, sachant pertinemment qu'il devait la ménager. Au fond de lui, il en voulait un peu à Tokaru de l'avoir blessé de la sorte mais il s'en voulait d'autant plus pour de maintes raisons auxquelles il n'avait pour le moment pas particulièrement envie de penser. S'il était continuellement entrain de ressasser le passé, il finirait réellement par perdre la tête, alors quitte à repenser à ses erreurs, quitte à avoir des remords, mieux valait les avoir le soir, quand il s'apprêtait à dormir et à revivre des fragments de sa vie dans ses songes.
*Me torturer la nuit suffit bien*

Le jeune homme marcha à une allure raisonnable, il ne voulait pas montrer sa peine au seigneur, ne devant entant que l'humble serviteur qu'il était ne montrer aucune faille. Après tout, ce qu'on attendait de lui était de servir et non de se plaindre ou d'être défectueux. C'est ainsi qu'il se déplaça sans un mot, respirant avec régularité pour filtrer la douleur qui le lançait chaque fois qu'il posait le pied au sol, de manière un peu bancale de surcroît. La forêt n'était pas un lieu pour les blesser, le sol n'était ni plat ni dégagé, ainsi bois, ronces, racines pouvaient lui nuire.

Afin d'être certain de la direction dans laquelle il allait, Yûta découvrit son oeil d'argent, le ruban remonta sur son front et y resta, prêt à retomber sur ses yeux dès l'instant où ils auraient retrouvé la civilisation. S'il avait été seul, l'Utsuwa aurait pu éventuellement se passer de sa vue, sachant que s'il se perdait s'était qu'il n'avait pas été assez attentif à ses déplacements. De plus s'il se perdait cela aurait été l'occasion de découvrir un nouveau morceau de la forêt mais étant accompagné, mieux valait qu'il soit certain de sa direction et puis, cela lui donnerait la possibilité de mettre à jour sa carte mentale et pour cela, il avait besoin de voir.

Yûta observait attentivement les alentours, il n'y avait pas de doute, il savait où il allait. Son ouïe fut attirée par la voix de Tokaru, ce dernier lui posait une question. Le jeune homme se demanda pourquoi le seigneur revenait sur ce fait, était-ce son envie de faire la conversation à tout prix ? De fait, 'Utsuwa trouvait l'héritier particulièrement bavard, ou peut-être était-ce parce qu'il ne l'était pas, lui ?

"En effet, il en est ainsi."

Yûta poursuivait son avancée quand il réalisa que peut-être il se devait de fournir plus d'explication, au moins cela éviterait au seigneur de lui poser les questions...
*Mais peut-être qu'il n'a pas envie d'en savoir plus?*
Quel dilemme. Devait-il parler ou ne pas parler ? Finalement, il opta pour la première solution. Dans le doute, mieux valait celle-ci car au moins, il satisfaisait le maître en prenant par à la conversation.

"En réalité je suis libre."
Il marqua un temps d'arrêt avant de reprendre :
"La famille Nightspear n'a du apprendre que récemment que j'étais encore en vie et je pense qu'elle ne tient pas particulièrement à me revoir, ravoir. Cependant les Nightspear furent ceux qui m'achetèrent, m'élevèrent et m'éduquèrent, et comme aucune de ces seigneuries ne m'a donné l'autorisation officielle de quitter leur demeure, j'estime que je suis encore leur propriété."

*Bien qu'il n'y ait que moi pour penser ainsi. Je suis certain que dame Saura n'aurait vu aucun inconvénient à ce que je me retrouve à nouveau sur le marché, pour elle je n'étais que l'Utsuwa de son frère... D'ailleurs, Yûteki a-t-il bien fait passer ma requête ?*
Il se demandait où toute cette histoire pouvait bien en être.

Tokaru, observait attentivement les environs, connaitre cette partie de la foret lui éviterait bien des ennuis à l'avenir, se mémoriser les arbres, les plantes qu'il identifiait aisément au regard. Tout en écoutant la réponse de l'Utsuwa ...
Ainsi il était libre en quelque sorte, il n'y avait que le problème de la famille Nighspear. L'Akuyô allait peut être pouvoir régler son problème d'Utsuwa plus rapidement que prévu ...

" Je vois ..."

Il marqua une pause pour étudier les alentours une nouvelle fois, il savait maintenant où il se trouvait, et aurait put continuer son chemin seul, mais il n'en avait pas fini avec Yûta .
Comment allez t-il appâter l'Utsuwa ...
Il réfléchit alors à tout ce qu'il avait vécu avec lui depuis hier soir, il avait relativement bien cerné le personnage, malgré le fait qu'il soit peu bavard,

* Il y avait quelque chose de toute évidence avec son ancien maitre, mais quoi ?*

Il n'était pas manipulable facilement, même en rusant, il resterait sur ses gardes .
Inutile de faire dans la dentelle dans un tel cas le plus simple était de poser la question directement ...
Tokaru s'arrêta alors, Yûta fit de même presque aussitôt.

" Serais tu intéressé par la possibilité de devenir mon Utsuwa ? il marqua une pause puis continua . Si tel est le cas je pourrais certainement m'arranger avec les Nightspear .
J'ai perdu mon Utsuwa il y a peu ... et tu m'intéresses . "

Il s'arrêta, écoutant à présent Yûta ...

"Je vois...." furent les paroles de l'homme vis à vis des dires que venaient de proférer l'Utsuwa. Une réponse simple mais qui manquait de fond, seulement Yûta ne prit pas la peine d'interroger Tokaru. Il était trop docile pour oser déranger un seigneur par des questions futiles. Ainsi il se contenta de cette réponse et poursuivit sa marche.
Ils arrivaient vers un territoire qui généralement était plus familier aux gens de la civilisation. Cette partie de la forêt avait d'ailleurs subit quelques modifications. Les branches étaient coupées, cassées, les racines piétinées et les herbes étaient plus basses qu'à ses souvenirs et certaines tracées laissaient deviner le passage d'hommes par ici. La forêt avait été visitée.

*Je viendrai remonter ces traces*

De toute manière Yûta n'avait rien d'autres à faire que de vagabonder en forêt. C'est pourquoi s'il avait l'occasion de surprendre une suite d'un seigneur, une escouade d'Utsuwa ou un troupeau de Ningyô, il ne la laisserait pas filer entre ses doigts. Non, il n'était pas particulièrement curieux mais s'il tenait à savoir ce qui pouvait bien se tramer en ce dangereux territoire c'était pour une raison précise : recueillir des informations, chose qu'il n'avait pas fait depuis trois ans. Le serviteur ne perdait pas de vue qu'il devrait bientôt satisfaire un héritier et pour se faire il se devait de garder l'oreille à l'écoute et l'oeil vif.

*Et puis je pourrai mieux le protéger.*
C'était un fait, s'il détenait des connaissances dans tous les domaines assurer la protection d'une personne devenait plus simple, ce le dont il était question aurait certainement beaucoup de chance d'avoir un être tel que Yûta à son service. Quoi que le dernier ne s'en était apparemment pas aussi bien tiré que l'on pouvait l'espérer.

Le Héron sentit sa compagnie s'arrêter, il en fit de même, prenant discrètement appuie sur Yûyake afin de ménager sa jambe meurtrie qui fatiguait cruellement. Mine de rien, le trajet était long et il avait été blessé hier. Son stoïcisme vis à vis de la douleur avait ses limites et bien qu'Utsuwa il n'en restait pas moins humain.
*Je ne suis que mortel après tout*
Et la mort, il l'avait frôlée hier.

Le jeune homme entendit la question que le Nushi avait à lui poser. Il se figea sur place, souffle coupé, coeur arrêté.
*Devenir son Utsuwa ?*
Certes, il y avait pensé et en vérité il était particulièrement tenté de le devenir. Cet homme était bon, cette bonté n'allait pas convenir et si elle ne convenait pas Yûta allait....
*Cela pourrait se faire.*

Doucement il ferma les yeux, portant en même temps sa main droite à son visage. Il caressa du bout des doigts la cicatrice qui lui barrait l'oeil, songeur.
Pouvait-il se permettre de devenir la propriété de cet homme ? Était-ce ce qu'il aurait voulu ? Si tel n'était pas le cas, pouvait-il dire qu'il n'était pas intéressé ? Le seigneur ne ferait-il pas alors jouer de la dette pour l'y obliger ? Yûta se posa maintes et maintes question, tirailler entre cette envie de satisfaire un seigneur ; seule chose qui donnait un sens à sa vie ; et le soucis de répondre au mieux à... sa situation.

Le jeune homme se retourna vers le seigneur, estimant qu'il aurait été impoli de lui rester de dos. Cependant il garda la tête basse, observant attentivement le sol. Il ne devait pas croiser le regard de Tokaru. Il resta un moment silencieux, réfléchissant quelque peu à ce qu'il devait répondre. Ses yeux lassés d'observer les feuilles mortes se fermèrent.
Yûta repensait à Yûteki. Tout semblait converger vers ce moment fatidique et il réalisait que les événements s'étaient mal déroulés. Si seulement il avait rencontré ce seigneur avant son ancien ami les choses auraient été si simples, tout aurait été bouclé dans la seconde mais
*Si elles l'avaient été, j'en aurais été bien triste*
Yûta n'aurait pas supporté que son retour se passa s'en encombre. Des problèmes, il devait y en avoir car sinon il se serait senti malheureux d'être trop heureux.

"Seigneur Tokaru, à quel point vous intéressé-je ?"
Il marqua un temps puis ajouta :
"Que seriez-vous prêt à sacrifier pour m'obtenir ?"

La manière dont la question avait été posée laissait supposer que l'Utsuwa reprenait son attitude de la veille. Cherchait-il à provoquer le maître ? Il était facile de croire que tel était le cas cependant il n'en était rien. Yûta posait ces questions dans un but précis et celui-ci n'était guère pour énerver le seigneur en lui faisant dire qu'il était un Utsuwa de qualité qui méritait bien que l'on dépense une petite fortune pour lui. Non, bien que Yûta savait que des maîtres se battraient pour l'obtenir parce qu'il était une légende, à ses yeux il n'avait strictement aucune valeur.

Tokaru fronça les sourcils ...

* A quel point m'intéresse-il ? Et qu'entend t-il par sacrifice ... *

Yûta le testait ... comme il l'avait fait plus tôt, même si l'Utsuwa était quelqu'un de renfermé, Tokaru le fréquentait depuis assez de temps pour le comprendre ... mais un sacrifice de la part d'un Nushi, pour un Utsuwa qui plus est, ce n'était pas courant .

Tokaru prit un temps de réflexion, il pivota élégamment sur lui-même .
Une légère brise vint faire virevolter ses cheveux autours de son visage qu'il replaça d'un geste de la main .
Alors qu'il se trouvait dos à Yûta il commença à argumenter ... il fallait trouver les mots justes pour convaincre l'Utsuwa ...

" Tu m'intéresses énormément pour plusieurs raisons, tu as du cran ... défier un Akuyô en pleine foret de nuit ... il s'arrêta comme pour réfléchir me provoquer ... nouvelle pause, et vouloir régler ça sur une seule attaque ... Il s'arrêta et se retourna,
Indéniablement, tu es fort et très sur de toi, or j'ai de l'ambition et mon Utsuwa doit être fort ... et plus tu présentes des qualités que mon ancien Utsuwa n'avait pas, c'est sans doute ce qui lui a couté la vie ... "

Il se rapprocha lentement de Yûta d'un pas félin ...

" Oui tu m'intéresses et faire de toi mon Utsuwa m'oblige déjà à quelques sacrifices ..." Accompagnant ses mots il se caressa la joue lentement, partant de son sourcil il descendit lentement ... il se demanda si le geste avait échappé à Yûta ...

Il pensait évidement à sa technique principale ... l'appliquer sur une personne qui ne vous accorde pas de regard n'était pas envisageable ...

*Je crois qu'il y a méprise.*
Yûta écoutait attentivement la réponse du seigneur. Ce dernier était entrain de lui définir les points qu'il avait d'intéressant. Apparemment ses capacités et son audace étaient les bienvenues. Le noble ne le connaissait pas encore assez pour savoir que ce qu'il avait vu en ce jour n'était pas tout ce dont l'Utsuwa était capable. Loin de dire qu'il ne s'était pas donné à fond, le jeune homme n'avait simplement pas eu le temps de montrer tout son talent mais le pire était que... Tokaru ne savait pas à quel Jinmin il avait à faire. D'une certaine manière, cela confortait Yûta.

Le serviteur écouta jusqu'au bout son compagnon. Celui-ci termina sur le fait qu'il effectuait déjà quelques sacrifices en le prenant comme Utsuwa. Le Héron n'était pas certain de comprendre ce que cela signifiait. Il avait perçu un geste de la part de l'héritier mais ce geste était trop vague dans son esprit pour qu'il saisisse parfaitement où il voulait en venir.
*Des sacrifices...*
Yûta y songeait mais certainement les deux protagonistes ne pensaient pas aux mêmes sacrifices.

Le jeune homme s'aperçut que le maître avait fini de parler ainsi il décida que c'était à son tour de s'exprimer. Il chercha un instant ses mots, écoutant les bruits de la forêt. Le vent soufflait légèrement et cela amusa Yûta que de le sentir effleurer son visage.
*J'ai l'impression de toucher une nouvelle ère.*
Ou sa manière de dire que le vent tourne.

"Seigneur, je ne mérite pas une telle estime de votre part."
Bien sur que si qu'il la méritait.
"Je me dois de vous informer que si j'avais été libre, j'aurait été votre dès l'instant où vous l'auriez exigé."
*Parce qu'après tout, je ne suis bon qu'à servir.*
"Seulement, si vous désirez m'obtenir, il vous faudra convaincre Dame Nightspear."
Il marqua un temps, songeant à ce qu'il avait fait hier dans le cours de la journée.
"Et à celle-ci j'ai fait annoncer mon retour, l'informant que j'avais la possibilité de lui offrir de belles choses."

Yûta s'interdit de relever la tête afin de voir la réaction de Tokaru. La tentation d'observer ce visage était grande, notamment que celui-ci risquait d'appartenir à son futur maître. C'est pourquoi connaître les mimiques qu'il pouvait bien faire pour exprimer telle ou telle pensée serait importante afin de répondre à tous les désirs de son propriétaire mais il ne devait pas. Résister se montrait difficile.

"Je suis navré de vous imposer cela."
A cette phrase il s'inclina bien bas seulement il n'était pas entièrement navré, il était même plutôt heureux de devoir se mettre dans une telle situation.

A présent, il ne restait plus qu'à voir ce qui allait se passer et pour être certain de savoir, le mieux était de rendre visite à la demeure des Nightspear. Lui, il devrait y aller de toute évidence mais est-ce que Tokaru désirait encore l'obtenir à présent qu'il savait qu'il allait devoir se démunir de quelques biens ? Si tel était le cas, qu'il accompagne l'Utsuwa.
Ce dernier pourtant ne bougeait pas. Il attendait de savoir ce qu'en pensait l'héritier.

Tokaru soupira, même si Yûta ne l'expliquait pas directement, les sacrifices n’étaient pas finis ...
Acheter un Utsuwa à une famille pouvait clairement demander un sacrifice plus ou moins grand selon la valeur accordée à l’Utsuwa.

* Cela dépendra du classement habituel de Yûta parmi les Utsuwas ...*

Tokaru ne s’était jamais vraiment intéressé au classement … Les Kyôgi que Jirato avait souvent remporté avait dut le classer à une époque mais peu de personne le défiait ... Asahi avait l’habitude de passer derrière pour récupérer l’objet mis en jeu en cas de défaite ... évidement Tokaru faisait de même. Résultat peu de défis, il fut même un temps où les Nushi défiés déclaraient forfait de peur de perdre leur Utsuwa ... Jirato était redoutable ... à l’époque .
Avant sa mort il s’était clairement relâché et n’était que peu efficace ...


“ Je suis disposé à allez régler les détails avec mademoiselle Nighspear tout de suite ... “

Tokaru n’était pas pressé mais si dans la foulée de la matinée il pouvait se retrouver un Utsuwa, cela serait un problème de réglé ... non après tout il n’y aurait plus aucun problème après .

“ Mais je ne souhaite pas non plus te presser ... ”

Il fallait être agréable avec Yûta, après tout même si Tokaru était en mesure de créer un serment d'Utsuwa dans le dos de Yûta rien ne l’obligeait après à obéir complètement ... Il aurait fallu donner des centaines d'ordres pour éviter chaque possibilité de désobéissance. Trop de boulot ... et la moindre erreur serait fatale. Il hésita un instant ...

“ Et tu peux me tutoyer, et même m’appeler Tokaru, … me donner du seigneur … il chercha un instant ses mots, Bref, je préférerai m’en passer … ”

Le soupir de l'héritier ne passa pas inaperçu à l'oreille de l'Utsuwa. Ce dernier souriait en son fort intérieur. Actuellement la situation ne lui semblait pas mauvaise, il avait réussi à se trouver un maître. Malheureusement il ne savait pas ce que ce dernier valait et la question qui hantait sa petite caboche était de savoir si ce maître serait bon ou mauvais. En effet, il attendait quelque chose de particulier et il n'était pas sur de l'avoir trouvé, en réalité il était même certain que ce ne fusse pas le cas mais cela lui convenait. Qu'importe comment le seigneur pouvait être, il s'arrangerait d'une manière ou d'une autre pour que tout soit tel qu'il le veut ou bien au contraire tel qu'il ne le souhaite pas...

*Cela me devient difficile de penser...*

C'était un fait, la promesse qu'il tentait de tenir embrouillait son esprit. Ses pensées déjà irritées par les souvenirs du passé, devenaient complètement confuses par cette volonté de tenir serment. Yûta ne savait plus comment agir pour mieux faire. Lui, à qui l'on ne demandait pas de penser, ne cessait de le faire et finissait plus souvent avec les mauvaises solutions qu'avec les bonnes.

*Bien qu'avec un certain recul, elles me soient toujours bonnes...*

L'Utsuwa caressa du bout des doigts sa cicatrice faciale. Il écoutait les dires de son potentiel futur seigneur. Celui-ci l'informait qu'il était disposé à aller négocier de suite avec Saura mais il ajouta tout de même qu'il ne voulait pas se montrer trop pressant envers le serviteur. Ce dernier fut surpris par cette fin. Ne pas le presser, lui ? Pourquoi se montrer aussi compatissant envers un Jinmin ? Cette catégorie là de la société n'était que pour servir et souffrir, pourquoi montrer tant de sollicitude ? Le noble Tokaru était décidément d'une bonté incroyable. Yûta n'en avait pas encore découvert le fond. En effet, l'héritier venait de lui dire une chose qui étonna d'autant plus le malheureux. Il venait de lui dire qu'il pouvait le tutoyer et pire ! L'appeler par son nom, que dis-je ! Par son prénom ! Yûta était autorisé à nommer son seigneur par son prénom, une telle chose lui semblait...

"Est-ce là une autorisation ou un ordre ?" Demanda Yûta avant d'ajouter "car si cela n'est qu'une permission, permettez moi de la décliner."

Yûta parlait sur un ton détaché mais qui ne manquait pas de respect.
Après ces quelques mots, il revient sur le sujet précèdent de la manière suivante :

"Je vais me rendre à la demeure des Nightspears afin de rencontrer l'Utsuwa de Dame Saura. Où pourrais-je vous retrouver une fois cet entretien terminé ?"

Il était parfaitement inutile que le seigneur Tokaru accompagne Yûta pour sa rencontre avec Yûteki. Ce dernier n'avait qu'une chose à faire, lui fournir la réponse de sa maîtresse vis à vis de la requête qu'il avait effectué. Si elle avait décliné, alors le Héron prendrait son envol, délivré de toute obligation envers la famille Nightspear. En revanche, si la demande avait été acceptée, le Paon lui fournirait les informations nécessaires afin que son camarade se rende au rendez vous au lieu et en temps voulus.

*Ce ne sera qu'à ce moment là, que Tokaru devra se présenter.... Et puis, le bon seigneur n'aura ainsi pas à souffrir la présence de Yûteki.*

" Tu peux m'appeler comme bon te semble ... Tokaru s'arrêta un instant, sauf si c'est insultant. " Ajouta-t-il sur un ton de plaisanterie ...

Yûta préférait allez voir l'Utsuwa de Mademoiselle Saura sans lui ... l'Akuyô n'y voyait pas d'inconvénient ...

*Mais pour quelle raison ? *

Il aurait été plus aisé d'engager les négociations au plus tôt, du moins pour Tokaru, ces rivaux allaient certainement lancer plusieurs défis de Kyôgi en pensant l'emporter aisément face à un Utsuwa trouvé dans la Réserve, ce qui était initialement prévu. Plusieurs scénarios défilèrent dans la tête de Tokaru, plus ou moins farfelus ...
Il se rappela alors que Yûta attendait le lieu de leur rendez-vous .

*Dans la forêt* se dit-il amusé par sa propre pensée ...

" Disons chez moi ? J'habite dans une splendide villa à l'extrémité Nord du quartier des Nushis, un portail en bois de chêne avec une indication du nom du propriétaire, c'est à dire Yozora, de l'extérieur elle ressemble à un dojo ... il marqua un temps, d'ailleurs cette partie là est un dojo ... "

Tokaru observa alors une nouvelle fois les alentours.

" Je sais où nous sommes à présent, je ne risque pas de me perdre à nouveau. Hé bien mon cher Yûta, j'espère que vous me ferez l'honneur d'être mon Utsuwa ... et je vous souhaite un bon entretien. "

Achevant sa phrase par un bref hochement de tête vers l'avant.
Tokaru se rappela mentalement de se renseigner d'avantage sur Yûta dès qu'il l'aurait quitté ...

*Bien, ce n'était pas un ordre*

Yûta en était rassuré, il se sentait incapable de nommer ce seigneur par son nom. A la rigueur le tutoyer aurait été un petit coup de fouet qu'il se serait infligé et il aurait employé le banal "tu" au lieu du "vous" respectueux mais s'adresser à l'héritier par son nom, sans titre honorifique, cela il ne le pouvait pas. Même si Tokaru le désirait, même si cela le mettait plus à l'aise, le serviteur se devait de tenir son rang. C'est pourquoi il ne pouvait pas s'adresser à son futur maître comme il l'aurait fait avec Yûteki ou tout autre Utsuwa et puis il ne pouvait pas non plus s'adresser à lui comme
*Je le faisais avec Seiichi...*

Quand aux Ningyô... personne ne méritait d'être adressé comme on s'adressa à eux, car comme le voulait l'ordre de Tochi ils n'étaient qu'à mépriser, rabaisser, piétiner.
*Même si personnellement je les respecte et admire leur volonté de vivre.*
C'était un fait, Ningyô et Utsuwa avaient du mal à s'entendre mais une fois de plus, ce n'était qu'une généralité. En effet Yûta se souvenait qu'à la demeure des Nightspears, une certaine solidarité gisait parmi les Jinmin, sans doute parce que les Utsuwa étaient -malgré leur fonction qui désirait que les maîtres est la main plus légère- aussi mal traités que les Ningyô.

Tokaru finit par donner la réponse que Yûta attendait patiemment. Il lui indiqua le lieu auquel l'Utsuwa pourrait le retrouver après son entrevue avec Yûteki. Ce lieu s'avéra être nul autre que le domicile même du seigneur. Écoutant attentivement la description qui lui était faite, le serviteur se demandait s'il n'avait pas autrefois aperçu cette demeure. Certainement il avait du passer devant une ou deux fois mais n'ayant aucune connexion avec ce logis il n'en avait gardé aucun souvenir. Il allait devoir chercher la maisonnée. Cela ne serait nullement difficile au vu du détail qui lui avait été fourni.

Le jeune homme inclina légèrement la tête, signifiant qu'il avait bien noté ces dires et qu'il serait présent dès que lui sera donnée la possibilité de l'être.

*Il est un peu naïf quand même...* songea Yûta sans méchanceté aucune.
Le serviteur pensait seulement que cette rencontre n'avait aucun témoin. Tout ce qui s'était passé ici ne relevait que des deux hommes. La provocation, le combat, l'échec et la reconnaissance de la dette pour les autres n'existaient pas, seuls Yûta et Tokaru savaient qu'elle avait été et si l'Utsuwa refusait de reconnaître cette dette une fois à la civilisation, et s'il profitait de ce moment pour s'échapper et faire comme si de rien n'était ? Rien ne l'empêchait de passer outre cette rencontre et d'aller voir l'héritière de la famille Nightspear et de mettre le plan qu'il avait prévu à l'origine à exécution. Rien.
*Sauf le fait que je suis incapable de briser ma parole*
Et puis, il ne le savait pas mais tromper l'Akuyô ne serait pas aussi facile qu'il le songeait. Dans cette histoire peut-être était-ce lui le plus naïf des deux ?

"Non, c'est vous qui me faîtes honneur en m'acceptant comme Utsuwa."
Yûta se courba bien plus bas que le seigneur puis il se détourna de celui-ci et s'en alla d'un pas tranquille vers la direction qui était la plus propice à rejoindre la demeure des Nightspears.

Une fois qu'il fut or du champ de vision du seigneur et s'assurant qu'il n'était pas suivi, il leva la tête vers le ciel, et de son oeil d'argent il observa l'azur céleste.
*Seiichi ! Plus que quelques heures ou peut-être quelques jours et j'aurai à nouveau un maître !*
Un triste sourire se dessina sur le visage du Héron qui lentement laissa ses paupières se rabattre. Il prit une grande inspiration, chassant la peine qui l'envahissait puis baissant à nouveau la tête vers le sol, il se remit en route.
Sa main remit le bandeau en place sur ses yeux : il savait où il allait, il connaissait la forêt, il lui était donc inutile de voir pour avancer...

*Ou presque...*
Allongé de tout son long au sol, le visage dans la poussière, Yûta laissa un soupir s'échapper. Délicatement il ramena ses mains le long de son corps et se hissa sur ses deux jambes ou plutôt sur l'une d'entre elle tandis qu'il prenait appuie sur Yûyake. Sa main frôla le terrible ennemi qui l'avait mis à terre : une racine. Il rit en son fort intérieur. Il y avait fort longtemps que le droit chemin ne lui avait joué un tel tour ! Il en était bêtement heureux malgré la douleur qui s'était relancée dans sa cheville à cause de la chute.

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