Une petite vie...

Le jeune homme était énervé, il fonçait tête baissée sur son rival, celui-ci s'étonna un instant de la vitesse employée : il y allait sans retenue. Yûta avait du sérieusement lui taper sur la corde sensible. L'éventail au niveau de son visage, si le Héron n'eut aucune blessure ce ne fut pas grâce à lui mais plutôt grâce à l'humeur changeante de son compagnon. L'arrêt soudain du Paon l'avait épargné.
L'oeil d'argent fixait l'opposant, pourquoi s'était-il arrêté ? Le rire de ce dernier n'annonçait rien de bon. Ses dires le confirmèrent. Yûta soupira au fond de lui.

* Yûteki n'admet pas que je puisse ne serait-ce qu'un court instant perdre le contrôle.*

Il chercha dans sa mémoire mais il fut incapable de trouver un seul moment où il montra plus qu'un sourire ou qu'une grimace à son cher compagnon. Il réalisa alors son erreur, il en avait trop fait. Il aurait du se contenter d'un sourire.
Pourquoi n'avait-il jamais ri ou ne s'était-il jamais énervé face à lui ? Ou plutôt pourquoi ne l'avait-il jamais montré ? Même si c'était faux, il aurait pu le faire, il venait de le faire mais Yûteki n'y croyait plus. Pour lui, Yûta était la maîtrise de soi incarnée, ou l'abruti blasé.

*Même si c'était souvent -voire même toujours- faux, il n'y a qu'avec Seiichi que j'exprimai des sentiments.*

"Si cela t'amuse."
L'Utsuwa ne porta pas son regard sur son rival. Il se détourna même de sa personne, totalement indifférent à ce qu'il venait de lui dire.
"De toute manière, je n'ai plus le temps de jouer avec toi."
Il leva le bras en guise de salut.
"A plus"
Sans laisser le temps de répondre, il parti à plein turbo.

Alors qu'il s'enfonçait dans le droit chemin, Yûta savait qu'il n'avait pas été très juste avec son rival. Celui-ci pour une quelconque raison avait accepté de lui rendre service et il s'était moqué de lui afin de fuir lâchement la situation qu'il n'arrivait pas à encaisser. Le pire était qu'il n'avait pas su revenir sur ses mots et avouer que cette faveur lui était vraiment nécessaire mais il ne s'en sentait pas réellement coupable, il était juste un peu gêné parce qu'il avait l'impression d'avoir subi une défaite. C'était désagréable de perdre face à Yûteki et il avait l'impression d'avoir perdu la face avec toute cette pathétique comédie. Cependant il s'en remettrait.
Actuellement il avait juste besoin de se tenir loin de lui, loin de ce qui venait de se passer. Le retour en société après trois ans d'isolation lui était difficile, surtout qu'il se sentait seul.

*Vivement cette rencontre.*

Même s'il ne savait pas qu'attendre de cette entrevue, il se doutait bien que tout changerait à partir de ce moment là. Certes, Yûta n'avait donné aucun point de rendez vous à Yûteki au cas d'une réponse positive mais il savait que son compagnon saurait où le trouver. Il y avait un lieu qui leur était commun et qu'ils avaient ensemble souvent dévasté : le terrain d'entraînement des Nightspear.
Il attendrait là bas.

*Mais BON SANG ! Qu'est-ce qu'ils avaient tous à partir comme des trombes aujourd'hui !??!! *

D'abord la drôle de gerbille et maintenant l'autruche?
Mais décidément, c'était un phénomène de mode ou quoi? On ne leur avait pas appris la politesse? Juste parce que ces messieurs étaient bruns et ténébreux qu'ils avaient le droit de vous jeter un vent royal en déguerpissant comme des lapins?

*Vraiment pitoyables...*

Il fallait croire que la mode actuelle était aux herbivores fuyant. Yûteki avait eu le droit à deux cas aujourd'hui, c'était amplement suffisant...
Non mais sérieusement, comment des personnes normalement constituées pouvaient adopter ce genre de comportement? La fuite n'avait rien de glorieux...
...Non?
Le doute s'installa dans l'esprit de l'utsuwa aux cheveux blancs.
Pendant un court laps de temps, Yûteki s'imagina avec une chevelure couleur de chêne flottant au vent, courant à en perdre haleine, au milieu d'une multitude de petites étincelles de charisme, fuyant vers le couchant en jappant un message de vengeance du genre "Je reviendrai" ou "On se retrouvera".
...
...

-Beurk !!!...

Assaillit par cette vision cauchemardesque, il secoua instinctivement la tête pour s'en débarrasser. Décidément... le brun ne lui allait vraiment pas ! Plutôt se raser la tête que de porter une couleur si fade.
Non, la fuite pseudo-charismatique n'avait définitivement rien de logique. Mais après tout, qu'était la logique pour un esprit comme celui de Yûteki?

-Tsss, j'ai l'impression que le monde marche sur la tête...

Sa main glissa le long de sa gorge et s'enroula autour de la chainette qu'il portait autour du cou. La clochette au bout tinta doucement, rendant un son cristallin. Avec un long sourire, il passa ses lèvres à sa surface et souffla doucement dans la fente de la clochette dorée.

Lééééééon.

Le doux criaillement de sa clochette ne fit qu'allonger son long sourire, tandis qu'il marchait doucement au travers de la forêt. Il n'était pas pressé après tout, il avait encore quelques heures avant que le jour ne se dérobe et ne laisse place à la nuit. Il arriverait à la demeure des Nightspear avant le crépuscule.
D'ici là, il avait tout le temps du monde. C'est pourquoi il ne se dépecha pas, sautillant sur le chemin comme un enfant qui savoure sa prochaine farce. Sifflant dans sa clochette, poussant la chansonnette du paon avec allégresse.

Léééééééon.

[-Le manoir des Nightspear-]